Dans le cadre de la Semaine culturelle, les étudiants de LS1 et de LS2 ont rencontré une éditrice enthousiaste et chaleureuse, Sophie Bogaert, qui a échangé avec eux sur son parcours et sur la réalité de son travail.
Rendez-vous était pris lundi 12 juin au premier étage du café de la Mairie, place Saint-Sulpice. Après quelques minutes d’observation timide de la part des étudiants, le dialogue s’est rapidement mis en place, avec beaucoup de spontanéité et de bienveillance des deux côtés. Les hypokhâgneux et les khâgneux ressentaient à la fois de l’admiration face à cette professionnelle et de la complicité avec celle qui fut il y a quelques années à leur place en classe préparatoire littéraire.
Au fur et à mesure de la conversation, ils ont découvert une des voies qui s’ouvrent devant eux, après la khâgne, ainsi que les qualités nécessaires pour faire sa place dans ce milieu réputé très fermé lorsqu’on ne bénéficie pas de contacts personnels et privilégiés avec les maisons d’édition : la détermination, la pugnacité, la curiosité et une véritable force de travail, qualités que l’on développe en classes préparatoires.
Durant la seconde moitié de la rencontre, Sophie Bogaert a présenté sa collection et son travail, de la lecture de (trop) nombreux manuscrits à l’accompagnement des auteurs dans leur promotion et éventuelles remises de prix, en passant par la communication avec les libraires et la préparation des grands événements qui scandent une année éditoriale. Elle a su révéler tous les aspects de son activité : la créativité et l’exigence qui président au choix d’une typographie et d’un papier, par exemple, ou encore les interrogations quant à la définition de la ligne éditoriale de sa collection et les choix parfois cruels qu’il faut faire pour la respecter. La mutation des métiers de l’édition, confrontés d’un côté à la concurrence des formats numériques et de l’autre à de tentaculaires plateformes de distribution menaçant la survie des librairies traditionnelles, souvent tenues par des passionnés, a occupé une bonne part de la réflexion menée de conserve par l’éditrice et les jeunes étudiants. Ces derniers ont pu mesurer l’importance et la pertinence des questions qui leur sont posées dans le cadre de la préparation du concours de l’ENS : comment définir, parmi d’innombrables textes, ceux qui doivent être édités, selon quels critères ? Les propriétés et la valeur de l’œuvre littéraire, question au programme cette année 2016-2017, sont au centre du travail de Sophie et des responsabilités d’une maison d’édition, mais l’équilibre est parfois difficile à trouver avec les préoccupations et les exigences d’une entreprise qui doit viser sa bonne santé financière. Voilà le point sur lequel s’est refermé notre entretien : le statut et la rémunération des jeunes auteurs (puisque Sophie publie des premiers textes) ainsi que le travail d’accompagnement rédactionnel que sa collègue et elle réalisent pour parfaire au mieux l’œuvre originale qui leur est confiée.
C’est en ayant conscience d’avoir vécu un moment privilégié que les étudiants et les professeurs qui les accompagnaient ont poursuivi le riche programme de la Semaine culturelle aux Jardins du Luxembourg, point de départ d’une promenade historique autour de la Libération de Paris. Merci Sophie pour tout ce que tu nous as apporté !
Sophia, étudiante en khâgne raconte ce qui l’a marquée durant cette rencontre:
« Lors de la semaine culturelle, c’est en toute simplicité, dans un petit café parisien, que nous avons pu rencontrer Sophie Bogaert. Cette jeune éditrice dynamique qui a créé en 2011 avec sa collaboratrice Eva Dolowski, la collection « Qui vive » aux éditions Buchet-Chastel, nous en a appris un peu plus sur le monde de l’édition ,et sur le fonctionnement de la publication d’oeuvres littéraires. Après une brève présentation de sa collection et de l’histoire de la maison d’édition, Sophie Bogaert nous a parlé plus en détail du type de romans publiés, et de l’originalité de sa collection qui ne publie que des romans français et, fait vivre à son lectorat une expérience de lecture tantôt déroutante, tantôt provocante et parfois même expérimentale. Par exemple, avec le roman Avril, dans lequel la fragmentation de l’écriture et la variation des points de vue sont exploitées,ou encore au détour d’œuvres collectives reposant sur une écriture participative, comme dans le roman Comme Neige, où la parole est donnée à des figures littéraires comme Antoine Volodine ou encore Patrick Kéchichian. De même, l’orientation de l’éthique de sa collection, tournée davantage vers une lecture intelligente, qui pousse à la réflexion,et à l’analyse, sans pour autant être élitiste , nous a permis d’envisager les enjeux d’une œuvre littéraire et notamment la question de l’œuvre et du lecteur: la place du lecteur dans l’œuvre, ses attentes, la recherche d’une expérience au-delà du simple divertissement, mais aussi de nous interroger sur la dimension concrète et pratique de la publication d’une œuvre ( le coût des publications, le rendement, le critère de sélection,la valeur d ‘une œuvre , le déroulement des rentrées littéraires, ou encore des détails techniques sur les contrats qui lient un auteur à une maison d’édition). C’est ainsi en toute transparence qu’elle nous a révélé les « coulisses » d’une maison d’éditions. Puis, elle nous a dévoilé son parcours, ce qui a été à mon sens la partie la plus intéressante, dans la mesure où elle nous a prouvé ( pour ceux qui en douteraient encore) qu’après une prépa littéraire les opportunités sont nombreuses .En effet, savoir qu’elle-même a été une ancienne élève de khâgne, ayant passé le concours de l’ENS, nous a permis de nous identifier davantage. Moi, qui n’était pas initialement tant intéressée par l’univers de l’édition, j’ai apprécié entendre son parcours varié, et riche d’expériences, comme pouvoir travailler aux archives de l’IMEC , et d’accéder aux documents personnels de Marguerite Duras, ou encore de participer à des projets collectifs. Son expérience et son parcours redonnent finalement ses lettres de noblesse à l’identité littéraire, au choix de cette filière et encouragent les élèves de prépa à être davantage ambitieux. Ce fut donc une matinée très enrichissante, durant laquelle Sophie Bogaert a gentiment répondu à nos questions et s’est montrée amène et disponible, ce dont on a pu la remercier personnellement à la fin de cette entrevue.
Encore merci aux professeurs de la prépa littéraire de Saint-Exupéry d’avoir été à l’initiative de cette rencontre, et de nous avoir donné la possibilité de discuter avec des professionnels, comme Sophie Bogaert. «